en 2006 le multilinguisme était encore mal perçu

Lorsque les 2 premiers imagiers multilingues de Migrilude sont parus, en septembre 2006, Bon appétit Suzy! et Joyeux Noël!, tout le monde n'a pas compris. Il y eut les enthousiastes de départ, ceux pour lesquels il est évident que nous vivons dans une société multiculturelle et que le multilinguisme est une réalité à prendre en compte en acceptant toutes les langues en présence. Mais nombre de personnes (y compris dans ma famille)ne voyait pas l'intérêt : pourquoi toutes ces langues en même temps? à quoi ça sert si on ne sait pas les prononcer toutes, pourquoi l'histoire en 10 langues est placée au début du livre et pas au fil des pages?..

Chacun y allait de son commentaire, de ce qu'il aurait fait à ma place.... mais justement personne ne l'avait fait à ma place : personne n'avait osé prendre le risque financier et culturel de valoriser les langues des migrants, de réunir 10 langues sur chaque page d'un livre pour montrer quelle palette de diversité, de couleurs, de caractères, quelles ressemblances, quelles différences elles offrent.

Pourtant les migrants qui découvraient les livres étaient contents et les bibliothécaires qui manquaient d'ouvrages à proposer aussi, enfin ceux ouverts au public multiculturel. Les libraires étaient plus sceptiques : où classer ces livres? Ah vous n'avez pas de diffuseur, ça va être dur... Pour les migrants qui découvraient ces imagiers ou pour les familles plurilingues c'était comme une reconnaissance de leur identité. Enfin leur langue était là sur la page, au même titre que le français ou l'anglais !

Langue minoritaire en France ou en Suisse, leur langue maternelle retrouvait ses lettres de noblesse dans chaque page des imagiers. C'est un peu la même chose lorsque vous voyagez dans un train et que vous entendez votre voisin discuter au téléphone dans une langue étrangère. Une fois sa conversation terminée, vous pouvez faire mine de continuer à lire votre journal et l'ignorer. Ou bien vous pouvez lui demander en quelle langue il parlait (si vous ne la connaissiez pas) ou engager la conversation autour de cette langue si vous l'avez identifiée. Dans 99% des cas, vous verrez son visage s'illuminer et la conversation se poursuivra. Pourquoi? parce que vous avez reconnue cette personne avec sa langue, qui porte en elle l'histoire personnelle, familiale, patrimoniale, émotionnelle de cette personne, qui marque son ancrage, son identité. En publiant des imagiers multilingues, j'ai choisi d'adopter l'attitude de la voyageuse qui s'intéresse à son-sa voisin-ne de train malgré la barrière linguistique.

D'ailleurs pour moi, il n'y a pas de barrière, au contraire, c'est une invitation sonore à aller vers l'autre.

en 2006 le multilinguisme était encore mal perçu
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