Migration des mots, migration des hommes

Je viens de lire deux livres jeunesse qui traitent de la migration de manière très différente : celle des mots et celle des hommes, ces derniers véhiculant les premiers, les premiers enrichissant les derniers, les uns et les autres naissant, se mouvant, évoluant, mourant, se transformant. Le premier livre intitulé, Les mots vagabonds, est édité chez Mango jeunesse (2008). Stylisé avec un graphisme simple et élégant, il raconte l'histoire des mots, leurs origines et leur parcours migratoire jusqu'à leur arrivée, non définitive, dans notre langue. On y découvre donc des mots d'origine celte et bretonne, germanique, latine, grecque, anglaise, italienne, allemande et hollandaise, arabe, hébraïque, turque, persane, indienne, slave, scandinave, hongroise et finnoise, espagnole, occitane, basque et portugaise, amérindienne et aborigène, africaine, chinoise et japonaise, polynésienne et malaisienne.

Ce livre que j'ai emprunté dans une médiathèque pédagogique, n'avait jamais été ouvert et je trouve cela bien dommage car, présenté sous la forme d'un lexique, il fournit des explications historiques ou anecdotiques qui permettent de prendre conscience que les mots ont une valeur et une signification bien plus grande que nous ne l'imaginons et que leur emploi véhicule des pans de l'histoire humaine. Il convient donc d'être d'autant plus attentif à  l'usage qu'on en fait. Il tord le cou aux idées encore fort répandues animant le débat sur les langues qui, selon certains  ne devraient pas faire d’emprunts aux autres au risque de perdre leur « pureté d’origine ». Il dénonce aussi une autre idée reçue et transmise fréquemment à l’école concernant le français qui n'aurait que le latin comme origine. Les quelque 500 mots présentés dans ce livre prouvent le contraire.

J’aime bien l’histoire du mot « nicotine » qui doit son nom à l'ambassadeur de France à Lisbonne, Monsieur Nicot. En 1560, il envoie à Catherine de Médicis  du tabac fraichement arrivé du nouveau monde. On parle alors de l'herbe à Nicot, puis on choisit de nommer le principe actif du tabac, la nicotine. Concernant le deuxième livre,  Fuir les taliban, édité chez Thierry Magnier (2011), j’ai surtout été impressionnée par la dernière partie dans laquelle le narrateur vit l’exode au jour le jour et découvre avec aberration combien il n’est qu’une marchandise qui se négocie dans un monde inconnu découvert par le biais de passeurs et de fonctionnaires corrompus. Un monde sans repère, sans information, fait de silence forcé et de souvenirs enfouis. Un monde dans lequel il n’a plus aucune prise. Un monde fait de planques provisoires où l’on attend, cloitré, le moment opportun pour embarquer dans des trains, lesquels le conduiront aux Pays-Bas où le statut de réfugié politique devient son unique statut.

J’ai pensé à Hawa, qui vient de Somalie, à Eden, à Letu, Erythréennes, et à tous les autres migrants qui ont vécu des histoires semblables ou approchantes et qui bravement, tentent d’apprendre le français pour montrer à la société  - et pour continuer à se prouver - qu’ils sont des êtres en éveil et en mouvement, se dressant avec dignité vers la reconquête de leurs droits fondamentaux."

Migration des mots, migration des hommes
Partagez sur