Le bilinguisme : un concept évolutif

Si l'on s'accorde généralement à dire que le bilinguisme est indispensable à l'homme moderne, ne serait-ce que pour des raisons professionnelles, il n’en a pas toujours été ainsi. 

Dans son livre intitulé Le bilinguisme en procès, cent ans d’errance (1840-1940)[i], Andrée Tabouret-Keller montre qu’au XIXe siècle en Grande-Bretagne, le bilinguisme était considéré comme nocif. Un pédagogue affirmait : « S’il était possible à un enfant de vivre avec deux langues, ce serait à son détriment. Sa croissance intellectuelle et spirituelle ne serait pas doublée mais diminuée de moitié / if it were possible for the child or boy to live in two languages equally well, so much the worth for him. His intellectual and spiritual growth would not thereby be doubled but halved[ii]. »

De semblables idées émergent également en Suisse. Un pasteur, qui répond au doux nom de Blocher, ce qui ne manquera pas d’interpeler certains de nos amis suisses, assène en 1909 que bilinguisme et moralité ne vont pas de pair. Onisifor Ghibu, enseignant serbe, déclare en 1911 que le bilinguisme des enfants de familles immigrés d’origine allemande est « porteur de désastres, pour le sentiment d’appartenance à la communauté qui doit cimenter un peuple à travers sa langue d’origine ». Et en France, Edouard Pichon, linguiste, pédiatre et psychanalyste, décédé en 1940, pense que le bilinguisme est un handicap qui relève d’une infériorité psychique !

Ces quelques exemples nous rappellent que le concept de bilinguisme est profondément ancré dans l’histoire politique et sociale d’un pays. Ce n’est pas parce qu’il a évolué de telle sorte qu’il est désormais perçu positivement en France (et encore, cela dépend de quel bilinguisme, voir article) qu’une méfiance ne persiste pas à son égard, nous l’avons constaté lors de récentes positions pour la suppression de l’enseignement de l’arabe à l’école publique.

Un concept est comme une boîte à vitesse : il peut faire avancer ou faire marche arrière. Il peut même être dévié. A nous d’être vigilants.



[i] Edition Lambert-Lucas, 2011.

[ii] Traduction en fr., A. Tabouret-Keller.

Le bilinguisme : un concept évolutif
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